[Vu de Chine] MOINS = PLUS : LA DURABILITÉ ET LES BÉNÉFICES PEUVENT-ILS COEXISTER DANS LA MODE ?

La mode est l’une des industries qui gaspille le plus. L’année dernière, la marque de luxe britannique Burberry aurait ainsi brûlé plus de 37,6 millions de dollars de ses propres produits invendus afin d’éviter qu’ils ne soient vendus à des prix bas. Cette pratique, apparemment courante dans le secteur de la mode, a suscité des critiques non seulement de la part des actionnaires, mais également des consommateurs, inquiets de l’impact de cette pratique sur l’environnement, et d’autres acteurs du secteur de la mode. Aujourd’hui, le sujet de la durabilité atteint un nouveau sommet, avec de nombreuses marques de luxe, telles que Stella McCartney, Gucci et Hermès, publiant des déclarations de « développement durable », annonçant haut et fort leur position.

 

Mais qu’est-ce exactement que la mode durable ? Même si ce mot est maintenant courant dans l’industrie, il semble qu’il y ait un véritable écart entre l’idée qu’en ont les consommateurs, et ce que les entreprises doivent réellement faire pour que y parvenir. Selon un rapport commandé par la société de services financiers ING intitulé « Du développement durable au financement de la valeur commerciale », les trois raisons principales pour lesquelles les entreprises mettent en place des objectifs de développement durable sont la volonté d’augmenter leurs profits (39%), de réduire leurs coûts ( 35%) et / ou celle de protéger leur marque (30%). De l’autre côté et selon une étude publiée en août dernier par la CCFA (China Chain Store & Franchise Association), si les principaux motifs pour lesquels les consommateurs choisissent d’acheter des biens durables sont la sécurité et la santé, suivent de près la protection de l’environnement, et la qualité. Mais malgré tout, les consommateurs conservent leurs stéréotypes contre la mode durable (pour le meilleur ou pour le pire), même si elle signifie l’utilisation de matériaux recyclables, un commerce équitable et l’interdiction du travail des enfants. Du coup, pour certains l’achat de produits durables s’apparente donc davantage à un acte altruiste – un peu comme un trophée qu’on affiche, malgré son prix.

 

Le problème de la mode plus durable est-il lié à un manque d’éducation des consommateurs – comprendre que la véritable durabilité a un prix ? En fait, ça dépend. « Les consommateurs ne voient pas assez comment c’est fabriqué, pas seulement en Chine, mais à l’échelle mondiale », déclare Janice Wang, PDG de la société chinoise de conseil en développement de produits et vêtements Alvanon. C’est la raison pour laquelle les consommateurs restent sceptiques quant au fait de payer un prix plus élevé pour des labels durables : « même s’ils s’en rendent compte, il n’est pas avéré qu’il existe une réelle demande (sur ces labels) ».

 

Pour certaines marques, cela dépend de la somme ou du type d’information qu’elles sont disposées à partager avec leurs clients. Les efforts du groupe de luxe Kering en faveur de la transparence en Chine ont abouti à la création d’un mini programme, « Mon EP & L », qui permet aux utilisateurs de calculer les « pertes & profits  » environnementaux de leurs achats en général (ou un « score moral », si vous préférez). De façon idéale, les consommateurs peuvent prendre des décisions d’achat plus éclairées en fonction d’un score qui tient compte des matériaux utilisés, du sourcing et de la région de fabrication du produit. Cependant, il reste à déterminer si les consommateurs vont réellement utiliser ce programme pour faire des choix éthiques. Et seront-ils vraiment prêts à acheter un produit en fonction de son score écologique ? Personne n’a la réponse.

 

Certains consommateurs, en particulier les jeunes, vont jusqu’à se demander s’ils ne devraient pas contribuer à résoudre les problèmes environnementaux en cessant d’acheter constamment de nouveaux vêtements. Beaucoup choisissent aujourd’hui de faire leurs achats dans des magasins de seconde-main, dans des boutiques ou sur des applications mobiles de location de vêtements. C’est sans doute une mauvaise nouvelle pour l’industrie dont les ventes sont sous pression, mais au fond, les intentions des entreprises et celles des consommateurs semblent de plus en plus alignées – avec l’idée de maximiser la valeur des produits de la mode que nous portons et qui sont produits par les usines.

 

Il s’agit d’un équilibre entre l’offre et la demande, selon Janice Wang, qui appartient à la troisième génération d’une famille enracinée dans l’industrie du vêtement à Hong Kong. « Le problème ne vient jamais du côté des fabricants, ils sont extrêmement sensibles au gaspillage », dit-elle. En revanche, le problème se pose du côté de la planification – sur la meilleure façon de concevoir et de vendre les produits sur le marché. La société de Janice Wang pense que le dimensionnement est une étape importante pour rendre ce processus plus efficace, car il permet de comprendre les processus de fabrication des patrons et de confection des vêtements. L’objectif est  d’aider les marques, les concepteurs et les détaillants à faire en sorte que leurs produits soient le mieux ajustés possible – la société a récemment publié un rapport expliquant que le profit peut coexister avec un impact social et environnemental positif.

 

L’éducation des consommateurs ne se fait pas du jour au lendemain, certes, mais il est également possible de gérer l’ajustement de l’offre et de la demande afin de prévoir peu ou pas de produits invendus. Les marques de luxe peuvent avoir la puissance et les ressources nécessaires qui vont permettre à leurs consommateurs d’afficher leurs « trophées » en facturant un prix plus élevé pour des produits durables, ce qui leur dégage suffisamment de marge pour s’aligner. Mais pour la fast fashion, ou même pour le luxe accessible, cela pourrait être plus difficile à accomplir. Néanmoins, la durabilité exige que les entreprises et les consommateurs appellent à un choix conscient avant de produire ou d’acheter, et parfois « moins » pourrait signifier « plus ».

 

Article de Ruonan Zheng, publié sur Jing Daily le 5 mai 2019 : « Less is More: Can Sustainability And Profit Co-Exist? »
Traduit librement de l’anglais par VL